Johanna a commencé à travailler dans une agence de communication en mai 2007 comme chef de projet en CDI. Près d'un an et demi plus tard, cette agence perd un très gros client ce qui la plonge dans une situation financière difficile. Les charrettes successives masquent mal un licenciement économique, et Johanna n'est pas dupe.
"Nous avions accès aux comptes rendus réguliers à l'issue des réunions du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), mais ils étaient parfaitement opaques. Ils disaient en gros que la société connaissait un passage à vide, mais que ça allait s'améliorer bientôt. Il y a eu une première charrette en janvier 2009. Trois personnes. Ca passe inaperçu car ce sont deux personnes récemment embauchées et une troisième qui était en arrêt maladie depuis un certain temps. Mais tout le monde savait que c'était le début d'une suite de licenciements", explique Johanna.
L'agence où travaille Johanna compte 120 salariés. A partir de dix personnes, on considère qu'une entreprise procède à un licenciement économique. En mai 2009, neuf nouvelles personnes sont licenciées – celles avec les dossiers les moins rentables, notamment. Johanna en fait partie. L'une des neuf personnes apprend qu'elle est enceinte juste avant d'être reçue en entretien préalable au licenciement, il n'y a donc plus que huit personnes concernées. Mais la somme des personnes appelées à quitter la société depuis quelques temps porte les licenciements à bien plus de dix.
Tous les entretiens sont menés de façon très individuelle. Le climat est délétère : chacun a peur de son ombre, ceux qui sont encore en place veulent sauver leur peau, ceux qui sont en procédure de licenciement n'osent pas monter au créneau. Or, Johanna est scandalisée par ce licenciement économique déguisé puisque lors de l'entretien préalable, on lui propose l'équivalent de trois mois de salaire en guise d'indemnités. "J'avais plus de deux ans d'ancienneté, et j'étais de fait dans une situation de licenciement économique. J’aurais dû avoir droit à l'équivalent de six mois de salaire d'indemnités". Après quelques échanges en interne, toutes les personnes visées par le licenciement constatent qu'on leur a proposé la même chose : trois mois de salaire. "Parmi elles, il y avait des pères de famille, des assistantes de direction qui savaient qu'elles rebondiraient facilement… J'étais la seule qui n'avait pas grand chose à perdre à entamer une procédure pour faire valoir mes droits", indique Johanna.
Suite à la baisse d'activité, elle est progressivement dépossédée de ses dossiers. "Je venais pour rien. J'avais constamment des rendez-vous pour négocier mon départ, mais avec des interlocuteurs différents à chaque fois : gentils, méchants, qui tentaient de me prendre par les sentiments, qui tentaient de me faire culpabiliser… J'étais aussi convoquée par ma supérieure qui faisait pression en me disant que je n'avais pas de respect pour la boîte…". Le CE et les RH étant sous pression de la direction, et en l'absence de représentant syndical dans l'entreprise, Johanna a la chance de pouvoir faire appel à un contact à l'extérieur spécialisé dans les RH qui l'aiguille.
La plupart des huit personnes licenciées a déjà signé et est partie avec son chèque. Johanna a reçu sa lettre de licenciement dans laquelle il est précisé qu'elle est dispensée d'effectuer son préavis, mais la direction s'est bien gardée de lui expliquer que ces termes sont valables même en l'absence d'accord de négociation entre l'employé et l'employeur. Elle est donc officiellement licenciée, bien que toujours en négociation sur les indemnités – ce sur quoi elle n'est pas prête à transiger..
"J'ai fini par faire appel à un avocat et l'affaire a été portée devant les prud'hommes en juillet 2009. Mon avocat, puis un inspecteur du travail mandaté exprès, ont demandé à accéder au livre des entrées et sorties du personnel pour prouver que des licenciements massifs avaient lieu, et ainsi valider la thèse du licenciement économique. Mais cela leur a toujours été refusé."
Johanna attaque son employeur sur deux points : un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et il est également demandé si le fait qu'un Directeur administratif et financier (DAF) signe une lettre de licenciement est légal (en d'autres termes, si la lettre de licenciement qu'elle a reçu a une valeur).
Les prud'hommes lui donnent raison sur le premier point, et renvoient le deuxième devant un juge des partiteurs qui reconnaît la valeur légale de la lettre de licenciement signée du DAF.
"J'ai touché mon indemnité de licenciement équivalente à six mois de salaire, mais les frais d'avocats sont restés entièrement à ma charge. Je n'ai pas fait appel à un délégué syndical car il n'y en avait pas là où je travaillais. Mais j'aurais tout de même bien aimé pouvoir discuter avec quelqu'un d'extérieur, qui n'est pas soumis à la pression d'une direction, et qui aurait pu m’informer sur la marche à suivre. Car quand on est pris dans ce genre de situation, c'est compliqué de savoir comment s'en sortir, et à qui s'adresser."
« juge des partiteurs »…hum…
Un cas malheureusement trop classique dans les PME dépourvues de délégué syndical…